mercredi 8 janvier 2014

Entre Leurs Mains, un film essentiel

Si vous traînez sur la Twitto-blogosphère médico-sagefemmesque, vous avez peut-être entendu parler du film "Entre Leurs Mains".
Il s'agit d'un documentaire suivant 4 sage-femmes qui accompagnent les couples pour une naissance à domicile, ou en plateau technique à la maternité. Il a été diffusé sur Public Sénat pendant les fêtes, et est maintenant disponible en VOD ici (jusqu'à fin janvier seulement, dépêchez-vous!)

Ce film est un bijou (et je dis pas ça parce que j'ai donné des sous pour aider à le financer, non non...).

On nous permet de suivre dans leur exercice quotidien ces 4 sage-femmes, Cécile  en Isère, Muriel au Pays Basque, Sidonie en région parisienne et Jacqueline dans les Pays de la Loire.
Le film alterne les scènes de suivi des couples: consultation, séances de préparation, accouchements bien sûr, visites post-natales, ainsi que d'autres scènes plus "militantes": réunions de formation de sage-femmes, conférences auprès du grand public, manifestations pour la défense des sage-femmes, réunions pour discuter de la réponse à opposer aux menaces faites actuellement sur l"accouchement à domicile.

Ce que je retiens des naissances vues dans ce film, c'est beaucoup de sérénité, de confiance, de calme. Malgré l'absence de péridurale, AUCUNE de ces femmes ne crie. Une ambiance cocon, de la lumière tamisée, pas de bruit, pas de bip bip (pas de machine qui fait PING!), pas de lumière blafarde. Une venue au monde apaisée, tranquille. La nature fait son travail, la plupart du temps bien, et on la laisse faire sans interférer.
Une fois de temps en temps, la nature a besoin d'un coup de pouce, comme dans le cas de cette maman qui fatigue après un long travail et un bébé qui ne descend pas bien, qui se présente en OS (pour les non-initiés, le bébé est tourné la nuque vers le sacrum de la maman, ce qui est souvent un peu plus compliqué pour la sortie). Cécile décide alors du transfert, la maman accouchera finalement en maternité, avec finalement seulement une épisiotomie en plus. L'éventualité du transfert est envisagé dès le début, les choses se font donc sans panique.

J'ai souri devant certaines scènes, telle cette nuit de travail où Cécile somnole sur le canapé à côté du couple, après avoir versé de l'eau sur le dos de la maman dans sa baignoire. Il ne manquait plus qu'un petit chant maya cher à notre amie Odile pour compléter le tableau... ;-D

Il y a entre ces couples et ces sage-femmes une confiance absolue, une proximité physique, beaucoup de contacts presque charnels pour aider la mère à traverser le travail et à mettre au monde son enfant.

"Mon devenir maman m'a changée en tant que sage-femme. Mon regard sur ce que je faisais aux mères." -Muriel

"L'accouchement à domicile en France c'est pas du tout comme avant: l'hygiène est pas du tout la même, il y a des routes et des voitures, avant d'aller trouver un médecin il y a pas 2 jours de cheval à faire. Les femmes sont surveillées. On va pas découvrir des jumeaux au cours du travail, il y a des tas de pathologies qui sont éliminées. On a des moyens de surveillance pendant l'accouchement, qu'on n'avait pas avant". -Cécile

Jacqueline et Sidonie organisent ensemble des formations et des conférences sur le respect de la physiologie. Quelques propos recueillis lors de ces réunions:

"Si tu les écoutes de ce qu'elles font avant d'arriver à la mat, la plupart ne disent pas qu'elles sont restées allongées dans le lit. Et tu arrives dans une pièce et y'a un lit, c'est vachement inducteur. Et du coup, t'es une gentille fille, tu t'allonges. Parce que de toutes façons t'as regardé des émissions sur TF1 pour te montrer comment t'allais accoucher, et t'as vu pendant des soirs des femmes se mettre toutes allongées pour pousser. Du coup tu peux même pas penser que tu puisses faire autrement" -Une participante à la formation. (Merci le formatage Baby-Boom...)

"Je me suis rendu compte que dans mes propos je banalisais beaucoup la médicalisation de la naissance. Une de mes cours [de préparation à la naissance], c'est médicalisation de la naissance: voilà vous aurez la sat, le tensiomètre, le monito, la perf. J'avais l'impression de rentrer dans un couloir Voilà c'est comme ça, mais non ça peut ne pas être comme ça!" -Une autre participante.

"L'objectif de ces formations n'est pas l'AAD, l'objectif c'est que les sage-femmes puissent permettre à la physiologie d'être respectée. C'est pas l'apologie de l'AAD." -Jacqueline

Les participantes soulèvent le problème du risque d'hémorragie de la délivrance. Jacqueline répond qu'une étude récente (celle-ci, merci 10Lunes pour le lien) a démontré clairement que la plupart des HD graves, hors trouble de la coagulation type Malade de Willebrandt ou autre, sont dûes à un abus de Syntocinon, ce qui par définition ne risque pas d'arriver à domicile. Donc pour elle le risque est fort minime. (Ce qui ne veut pas dire nul... Ça c'est moi qui rajoute.)

"Il faut ouvrir des services entièrement physiologiques, au sein même des hôpitaux, pour que cette prise en charge soit accessible à toute la population, et pas seulement à celles qui auraient eu le temps et les possibilités de réfléchir à la meilleure manière d'accueillir leur enfant. Changer notre vision de l'organisation des soins." -Jacqueline

Une anesthésiste, lors d'une conférence, lit un texte qu'elle a écrit:
"J'entends les gémissements d'une parturiente à chaque contraction. Pourquoi ne fait-elle pas appel à moi? Ne sait-elle pas qu'on peut faire une péri? J'ai le coeur serré par la compassion et la péri me démange. [En résumé elle entre dans la salle et se fait virer...]
J'avais tellement honte de ne pas avoir fait confiance à une femme. En entrant dans cette salle, en fait c'était moi que je voulais soulager.
Mais où ont-elles le choix d'être elles-mêmes actuellement alors qu'on leur pose une péri d'emblée dans 80% des cas? De quelle découverte les prive-t-on en supprimant sans leur avis cette douleur si redoutée et pourtant si riche d'enseignement et si imprévisible dans son intensité? [Encore des propos qui devraient plaire à Odile]
De même que le droit à l'avortement a été une victoire, l'avortement lui-même en est rarement une. De même, accéder à la péri en a été une, mais quand elle devient systématique, sinon obligatoire..."
Là je dis bravo à cette anesthésiste pour le recul qu'elle a su avoir sur sa propre pratique.

On assiste également à des scènes de manifestations et de réunions de soutien aux sage-femmes pratiquant des AAD, dont l'exercice est plus que menacé par l'impossibilité de s'assurer.
Les sage-femmes qui se feraient condamner pour défaut d'assurance risquent 45 000 euros d'amende, de la prison et une interdiction d'exercer. Réaction de Sidonie à ces sanctions éventuelles: "Je me suis dit que les 45 000 euros d'amende c'était pas grave, parce qu'il y aurait la solidarité. Que la prison c'était pas grave. Mais c'est l'interdiction d'exercer..."
Ça en dit long sur leur motivation, quand le fait d'aller en prison apparaît moins grave qu'une interdiction d'exercer... Je dis chapeau mesdames...

Sous cette pression légale, Muriel a décidé d'arrêter les accouchements à domicile pour proposer uniquement la naissance en plateau technique à la maternité d'Orthez. Cette scène, où elle annonce ce choix à un couple m'a beaucoup émue, car on la sent vraiment à fleur de peau, très en colère.
"Ça ne m'amuse pas de céder sous la pression. Pas du tout. Je me mets en colère moi-même. Mais je me sens trop seule. Trop de pression."

"Il y a une méconnaissance de la pratique à la maison, ce sont des accouchements à bas risque! C'est une vraie bataille pour les mères. Avec leur famille, leur médecin traitant. Elles deviennent des parias. C'est ça qui est dur aussi. Être paria tout le temps. On est toujours suspectes de faire je ne sais quoi, une espèce de sorcière..."

On comprend la lassitude de Muriel, et on ne lui en veut pas de baisser les bras...

Au total ce film montre le travail exceptionnel de ces 4 professionnelles, qui sont loin d'être des têtes brûlées, et leur engagement inconditionnel dans leur métier auprès des femmes, des couples et de leurs nouveaux-nés.
Mais l'avenir qu'il laisse deviner pour leur choix d'exercice reste très sombre, et il leur (nous?) faudra encore se battre longtemps avant qu'il soit accepté, dé-stigmatisé, et intégré comme un maillon comme les autres de la prise en charge périnatale française.
Le combat est loin, très loin d'être gagné.

Alors si le choix des femmes et des couples pour la naissance vous tient à coeur, regardez ce film, parlez-en autour de vous, faites-le voir au plus grand nombre.
A bon entendeur.

Et un grand merci à l'équipe du film, ainsi qu'à Sidonie, Jacqueline, Cécile et Muriel.

Si vous voulez lire d'autres réactions, c'est par là:
http://www.entreleursmains.org/ellesils-en-parlent/



1 commentaire:

  1. C'est drôle, tu écris très exactement ce qui m'a marqué ! J'aurai pu l'écrire cet article ! Enfin, sans la belle plume... Et c'est exactement pour toutes ces raisons que je conseille à mes patientes de le voir !
    Il y avait un commentaire d'une toute jeune maman chez 10lunes qui expliquait que ce filme l'a apaisé avant son accouchement, en hospitalier.
    Moi ça m'a apaisé et mise en colère devant la difficulté d'offrir ou de vivre ça ! Cette harmonie !
    Merci de cet article !

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