mercredi 23 novembre 2016

Quand je serai grande, je voudrais être Irène Frachon.

Bon, ce blog commence à sentir le moisi, plus de 8 mois que je ne l'ai pas ouvert... Bon j'avoue j'ai 2-3 trucs sur le feu en ce moment, entre des marmots qui ne veulent pas se coucher, une maison en cours d'achat et un cabinet qui tourne si bien que ça m'en ferait presque peur.
Et puis si je me mets à commenter la situation actuelle, ça risquerait d'être franchement déprimant. Donc je n'avais pas trop d'inspiration ces derniers temps.

Et puis par un hasard miraculeux, j'ai pu m'échapper 2h et aller au cinéma. Et je suis allée voir La Fille de Brest.


Pour ceux du fond qui n'ont pas suivi, ce film d'Emmanuelle Bercot raconte l'histoire du scandale du Mediator qui a éclaté il y a maintenant 7 ans, grâce à la ténacité du Dr Irène Frachon, anonyme (au début) pneumologue au CHU de Brest.

Le sujet n'est peut-être pas hyper fendard vu comme ça, mais j'ai passé un super moment, et ce sont 2h de ma vie que je ne regretterai pas. J'ai reçu ce film comme un coup de poing. Et pourtant je connaissais très bien l'histoire, l'ayant suivie au fil de l'actualité il y a quelques années. Malgré ça, le rythme est soutenu, la narration déroulée comme un thriller, on ne s'ennuie pas une seconde. Les choses sont montrées très crûment, dès les premières minutes du film on se retrouve au bloc opératoire pour une opération à coeur ouvert de remplacement d'une valve cardiaque... Âmes sensibles, le champ opératoire est montré en gros plan... Je ne sais pas d'ailleurs comment ils se sont débrouillés pour filmer ces séquences mais c'est hyper-réaliste. De même plus tard dans le film avec une scène d'autopsie plus vraie que nature... Burp. (D'ailleurs l'avocat qui y assiste dans le film n'y résiste pas...)

Tout le film tourne donc autour du personnage d'Irène Frachon. J'avais déjà beaucoup d'admiration pour le courage de cette femme, mais après ce film, en réalisant ce qu'elle a vraiment traversé pour arriver à faire éclater cette histoire, ce qu'elle s'est pris dans la tronche, j'avoue que je suis vraiment tombée amoureuse. Cette femme est une vraie "emmerdeuse", dans le meilleur sens du terme, du genre qui ne lâche pas le morceau tant qu'elle n'a pas eu ce qu'elle voulait, prête à ruer dans les brancards autant de fois que nécessaire. Tout le contraire de moi en gros... Je rêverais d'avoir le dixième de son audace... Cette femme est notre Erin Brockovich bien de chez nous.
L'actrice qui l'incarne, Sidse Babet Knudssen (que vous avez peut-être déjà vue dans la série Borgen), est tout simplement formidable. (Par contre je doute que dans la vraie vie Irène Frachon jure en danois! 😁). Elle a en tout cas l'énergie nécessaire à faire ressentir la rage qui animait Irène pendant ce combat. Julia Roberts n'étant apparemment pas libre, nous n'avons pas perdu au change!
Le film m'a par contre permis de découvrir le rôle des gens autour d'elle, comme le Pr Le Gal, renommé dans le film Le Bihan (la vache Benoît Magimel il a pris un sacré coup de vieux!!), qui a conduit l'étude cas-témoin qui a permis de mettre en évidence le lien statistique entre Médiator et valvulopathies, ainsi que la jeune doctorante en pharmacie (elle aussi dotée d'une sacrée paire... d'ovaires!) qui a décidé de faire sa thèse sur les dysfonctionnement du système de pharmacovigilance dans l'affaire Médiator. Apparemment elle a eu les félicitations du jury, ce qui me laisse à penser que les jurys de pharmaciens sont peut-être moins frileux que ceux de médecins, quand je me souviens de l'accueil fait à la thèse de Louis-Adrien Delarue sur les conflits d'intérêts des rédacteurs de recommandations de l'HAS... (L'histoire ici)
Le film retrace bien tous les obstacles auxquels elle et ses collaborateurs ont dû faire face, la réticence de l'AFSSAPS de l'époque à bouger le petit doigt (trop occupée à gérer la "crise de la grippe H1N1" mwahaha...), le mépris des Parisiens envers les "petits médecins de province", bretons de surcroît, l'opacité et le cynisme prévalant chez le laboratoire Servier.

Tout au long du film je me suis remémoré mon premier stage en cabinet de médecine générale, en 2009, juste avant l'explosion médiatique de l'affaire, alors qu'une de mes maîtres de stage prescrivait larga manu du Mediator à ses patientes en surpoids. Étant déjà à l'époque lectrice de Prescrire, j'étais au courant des fortes suspicions qui planaient sur ce médicaments, et je m'étais trouvée en position très inconfortable lorsque les patients de ma MSU me demandaient de leur renouveler l'ordonnance...

Voilà, en deux mots comme en mille, j'ai adoré ce film, et Irène Frachon est mon idole!
Je propose d'ailleurs à mon ex-faculté de médecine de renommer l'amphithéâtre qu'ils ont osé nommer "Amphi Boiron" (la honte intersidérale), et de le baptiser "Amphi Dr Irène Frachon"!

Actuellement l'affaire Mediator n'est pas close, puisque le Dr Frachon se bat encore quotidiennement aux côté des victimes dans les procédures d'indemnisation, face au laboratoire Servier qui dispose de cabinets d'avocats entiers pour ralentir les procédures...

Il faudra enfin nous interroger sur ce que nous devons faire pour que de telles affaires ne se reproduisent plus (il y en a encore malheureusement plusieurs en réserve, certaines ont fait parler d'elles depuis, comme la Dépakine aux femmes enceintes par exemple). Des instances de pharmacovigilance vraiment indépendantes, la transparence dans les données des études cliniques, avec la publication de toutes les données et pas seulement celles qui arrangent les labos, une vraie formation des médecins à l'esprit critique, à l'indépendance professionnelle afin qu'ils cessent de se comporter en moutons prescripteurs de l'industrie pharmaceutique, et l'interdiction de la visite médicale seraient à mon humble avis un bon début.
Je ne suis malheureusement pas hyper optimiste face à la force de lobbying de l'industrie pharmaceutique et au poids économique et donc politique des grands laboratoires français...

Ici la Bande-annonce du film. Franchement si vous avez l'occasion, courez-y!

samedi 12 mars 2016

Journée de la Fâme et du foutage de gueule

Le 8 mars, au départ c'est la "Journée internationale des Femmes" selon l'ONU, la "Journée des droits des femmes" selon le gouvernement français. En tout cas, ce n'est PAS, la "Journée de la Fâme" (La Fâme ne veut rien dire), et encore moins celle des récupérations commerciales ou médiatiques idiotes merci.

Genre ça:



ou ça: Concours de repassage par l'ADMR

Non mais seriously l'ADMR, vous avez réfléchi, juste DEUX SECONDES avant de lancer cette idée stupide??

Ou encore ça:

Journée des femmes : arrêtez avec les fleurs et les promos, des droits suffiront

Ou ça: Promo CDiscount Journée de la Femme 

Tout ça c'est juste encore un peu plus de sexisme/business déguisé sous de bonnes intentions.  
Le mécanisme me fait furieusement penser à Octobre Rose et au pinkwashing en fait.

Eh non, messieurs, on va peut-être passer pour des chieuses (mais on a l'habitude), mais on ne veut pas les frais de port offerts, ni une rose à la con, ni une culotte offerte pour l'achat d'un soutien-gorge.


Ce qu'on voudrait par exemple c'est en finir avec les dizaines de milliers de viols annuels (pour ne parler que de la France), avec la culture du viol, avec la culpabilisation des victime ou slut-shaming, avec les peines ridicules que reçoivent les quelques coupables qui terminent devant les tribunaux.
Ce qu'on voudrait c'est qu'au lieu d'apprendre aux filles à ne pas "prendre de risques", on apprenne aux garçons à ne pas violer, à respecter le consentement.
Ce qu'on voudrait c'est ne pas lire en 2016 cette enquête désespérante du Dr Muriel Salmona sur la culture du viol
Un petit exemple?
 

Ce qu'on voudrait c'est en finir avec les 216000 femmes victimes de violences conjugales, les 134 femmes tuées dans le cadre de violences conjugales. C'est que les femmes victimes puissent être vraiment protégées sans être confrontées à un parcours du combattant.
On aimerait ne plus lire "drame familial" quand un homme tue sa femme +/- ses enfants. Genre ça ça s'appelle un féminicide avec quadruple infanticide.

Ce qu'on aimerait c'est ne plus vivre ça. 
Ou ça (pardon pour l'auto-citation...)
Ce qu'on aimerait c'est en finir avec les violences gynécologiques et obstétricales.

Si vous voulez plus d'idée il ya tout ce qu'il faut là, sur RadioFéministe.

Les marques, si vous voulez vraiment faire quelque chose d'intelligent pour le 8 mars, au lieu de faire des promos débiles, interrogez-vous sur votre politique d'entreprise. Les femmes, à poste égal sont-elles payées également aux hommes? Favorisez-vous la conciliation vie perso-vie pro?
Favorisez-vous l'implication des pères auprès de leurs enfants (genre, les pères ont-ils le droit de prendre les jours enfant malade comme les mères)?
Peut-être serait-il bien venu d'organiser des seances de sensiblisation au sexisme ordinaire?
Avez-vous déjà promu des produits ridiculement genrés (et tant qu'à faire, plus chers parce que roses?)
Genre ça:
Eh ouais, mais ça, ça nécessite de remettre en cause toutes les habitudes, c'est vachement plus fatigant que d'offrir 10% aux femmes pendant une journée...
Eh ouais...
Bref, le 8 mars n'est PAS une espèce de 2e Saint-Valentin (elle-même déjà largement suffisamment récupérées à nos dépens)

Pfoulala ces meufs, elles sont jamais contentes...
Bon évidemment je suis pas la première à passer par là... Voilà, Merci! 

Un petit récapitulatif sur http://8mars.info/



mercredi 18 novembre 2015

Stupeur et tremblements

Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n'ai aucune formation en géopolitique et je suis complètement perdue. Je ne sais absolument pas ce qu'il conviendrait de faire aujourd'hui pour que tout cela s'arrête, mais je sais que je suis très très mal à l'aise avec la direction dans laquelle s'engage mon pays.

Comme tous mes concitoyens, je pleure 129 jeunes gens fauchés par la folie humaine. Je pleure toutes ces vies stoppées nettes et toutes celles qui vont être gâchées pour des années par les séquelles physiques et psychiques de ce carnage.
Je n'en connaissais aucun, mais j'ai bien trop vu passer leurs visages, leurs histoires, leurs témoignages et la douleur de leurs proches dans les médias.
Je suis reconnaissante envers tous ceux, forces de l'ordre, soignants, ou simples témoins qui ont fait leur maximum pour limiter les dégâts, bien souvent en prenant eux-même des risques, et qui eux-mêmes resteront sans doute marqués pour longtemps.

Je suis fière de ces concitoyens-là, fière de tous ceux qui, vendredi soir, tweetaient #PorteOuverte pour permettre à ceux qui ne savaient où aller de se mettre à l'abri.

Par contre je ressens beaucoup de colère envers nos dirigeants politiques. De tous bords. Je n'ai plus aucune confiance en eux.
Ces récupérations à hue et à dia, alors que les victimes ne sont même pas encore toutes identifiées. Cette précipitation à utiliser une rhétorique guerrière et belliqueuse. Répondre à la violence par encore plus de violence. Par un état d'urgence, des modifications de la constitution là tout de suite, dans l'émotion, surtout ne pas prendre le temps de réfléchir. S'engager à pieds joints dans le chemin du tout-sécuritaire. Limiter les libertés individuelles.
Parler de "guerre". Les mots n'ont plus de sens. Un attentat, aussi grave et dramatique soit-il, n'est pas "la guerre". Mon fils de 7 ans lui-même le sait, lui qui disait hier: "c'est PAS la guerre. La guerre c'est bien pire que ça."
Mais il est bon d'attiser la peur bien légitime de nos concitoyens, pour pouvoir se faire applaudir en passant des mesures allant à l'encontre de la démocratie.
Amalgamer sans vergogne réfugiés et terroristes potentiels. Alors que les terroristes étaient français, ou européens. Alors que ces réfugiés fuient eux-mêmes une violence bien pire que celle que nous connaissons ici.
Demander sans cesse à nos concitoyens français de confession musulmane de "se désolidariser" de ces cinglés qui n'ont rien de commun avec le véritable islam. Demande-t-on aux chrétiens de se désolidariser des crimes commis par le KuKluxKlan ou l'Inquisition?
Cette demande qui revient régulièrement, et que j'ai vu encore récemment émise par quelques responsables politiques pour lesquels j'avais encore un peu d'estime...

Je suis comme tout le monde choquée et horrifiée par ce qui s'est passé vendredi dernier. Mais je crois que je suis encore plus inquiète et effrayée par la réponse de notre gouvernement et de notre classe politique.
Je me demande quel futur j'offre à mes trois petits garçons. Je me demande si dans quelques mois ou années nous ne pleurerons pas les choix politiques qui sont faits aujourd'hui.
J'ai l'impression que l'Histoire se répète et que l'Homme n'apprend jamais.
On a dit "Plus jamais ça", et on recommence à la première occasion. On ne cesse de répéter que la France est le "pays des droits de l'Homme", "Liberté Egalité Fraternité" toussa, mais on fonce tête baissée vers le côté obscur de la Force.
Nous qui allons bientôt aller voir Star Wars 7, souvenons-nous quand le Sénat Intergalactique a donné les pleins pouvoirs au Chancelier Palpatine.

Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n'ai aucune qualification en géopolitique ni en droit constitutionnel, je n'y comprends pas grand-chose. J'écoute Bernard Guetta le matin à la radio.
Je suis très inquiète pour l'avenir de mon pays.
Et 129 beaux jeunes gens nous manquent.

En attendant, je vais essayer de reprendre une vie normale avec mes garçons, finir de fabriquer leur calendrier de l'Avent, et profiter de la vie avec eux.

Désolée pour ce billet un peu nul et très confus. J'avais besoin de mettre tout ça par écrit.

vendredi 2 octobre 2015

Ma semaine en médecine générale

Je suis installée depuis presque 9 mois.

Lundi. Ce jour-là je ne travaillais que le matin. J'ai vu 8 patients.

J'ai fait une visite d'aptitude au sport.
J'ai retiré un implant contraceptif, et j'ai écouté la patiente me raconter les mauvais souvenirs de son dernier accouchement, et les séquelles physiques qui lui en restent. Nous avons aussi discuté parentalité positive, elle est en train de lire un livre que je lui ai prêté à ce sujet.
J'ai "soigné" deux virus dont un chez un jeune asthmatique.
J'ai renouvelé sa pilule à une jeune fille et l'ai informée au passage que le frottis qu'on lui avait fait l'an dernier n'était pas nécessaire.
J'ai fait une visite de suivi d'un bébé de 4 mois : sommeil, développement psycho-moteur, examen clinique, poids, taille, PC, vaccins, petites questions de parents. Explication sur le début de la diversification.
J'ai séché (discrètement) devant un sportif qui a mal aux poignets quand il fait des pompes...
J'ai écouté une jeune femme me raconter sa rupture conjugale toute récente et la souffrance qui va avec. 

Puis je suis rentrée, j'ai déjeuné, j'ai ramené mes enfants à l'école, j'ai fait un peu de sport, je suis allée récupérer mes enfants à l'école, j'ai oublié la poussette du petit dernier à l'aire de jeu (oui on peut être médecin généraliste et blonde du cerveau).
Mon mari était de garde, j'ai donc géré seule devoirs, dîner, coucher des 3 enfants.
Après les avoir couché, j'ai refait le tour des articles sortis sur le dépistage mammographique depuis l'an dernier et les ai rassemblés pour mettre à jour mon billet sur Octobre Rose.

Mardi. Journée complète. J'ai vu 25 patients.

J'ai débuté la journée avec une patiente qui présentait un syndrome douloureux abdominal s'aggravant depuis 1 semaine, passée aux urgences la veille, sans diagnostic posé, et j'ai passé 20 min au téléphone avec tous les hôpitaux et cliniques de la région pour lui trouver un rendez-vous de scanner rapide. J'ai trouvé pour le lendemain. Ça m'a mis en retard pour toute la suite de la matinée.
J'ai enchaîné avec un patient qui a "pété les plombs" suite à un reproche injustifié au travail dans un contexte déjà très difficile. Consultation à thème dépressif, en anglais s'il vous plaît. Encore plus en retard...
J'ai vu 2 zonas.
J'ai détecté 2 probables scolioses lors de visites d'aptitude au travail ou au sport.
J'ai examiné et pesé 2 nourrissons de 4 et 7 mois avec une gastro-entérite aiguë, briefé les parents sur la réhydratation, la nécessité de contrôler le poids régulièrement tant que les symptômes durent.
J'ai pas soigné 3 virus, dont un petit qui avait déjà été hospitalisé 2 fois d'urgence pour des laryngites graves, et dont la maman flippait donc un peu que ça recommence, à juste titre. J'ai aussi pas soigné un 4e virus qui se présentait sous la forme d'une belle éruption cutanée qui ne ressemblait à rien de connu (de moi en tout cas).
J'ai soigné une sinusite.
J'ai trouvé une angine à un petit bonhomme de 2 ans 1/2, qui a passé la consult entière accroché au sein de sa mère, mais s'est laissé examiner et prélever la gorge comme un chef. Son papa m'a demandé si je pouvais renouveler son traitement anti-dépresseur. On a discuté sevrage et conclu que ce n'était pas le bon moment pour essayer (sevrage de l'anti-dépresseur hein, pas du sein).
J'ai vu une femme enceinte de 8 mois qui avait mal au dos. On a parlé du suivi du bébé juste après la naissance. Je lui ai donné les coordonnées de notre collègue sage-femme de la commune.
Deux jeunes patients avec des kystes sacro-coccygiens, l'un déjà opéré, dont je devais surveiller la cicatrisation, l'autre qui va devoir se faire opérer.
Un collégien qui a des céphalées de tension car ne supporte pas le bruit au collège... J'ai proposé des boules Quies, ça l'a fait rire...
Un deuxième patient dépressif, amené par son épouse qui est une de mes connaissances. Pas évident de se positionner...
Une personne âgée traitée pour HTA et diabète. Le diabète allait bien, la TA un peu moins. Mais comme elle a très mal à l'épaule depuis une chute, on a essayé de s'occuper de l'épaule, afin que le soulagement de la douleur permette peut-être de faire baisser la tension.
J'ai mis à jour les vaccins de 2 jeunes parents, et j'en ai profité pour peser le bébé de 15 jours que j'avais déjà vu la semaine dernière avec une prise de poids moyenne. On a discuté sur les biberons, les coliques, faut-il changer de lait ou pas...
Je me suis encore sentie nulle devant un sportif qui avait mal au genou. (Je hais les genoux ça devrait être interdit!)

Pendant la pause déjeuner j'ai fait ma comptabilité, suis allée déposer à la banque les chèques de la semaine dernière, j'ai discuté avec mon associé de la marche du cabinet, de la démographie médicale problématique du canton, et que nous allions pouvoir envisager de prendre un collaborateur dès que la MSP serait enfin sortie de terre. Nous avons aussi discuté de quelques patients complexes.

Vers 19:30 je suis rentrée chez moi, j'ai dîné avec ma famille. Après avoir couché les enfants je me suis mis un coup de pied au c... pour ressortir à mon cours de zumba, pendant lequel m'est venue l'idée de ce billet.

Mercredi. Journée complète, 24 patients.
J'ai commencé la journée par un changement de DIU, Mirena pour cuivre, car la dame n'a pas supporté le Mirena.
J'ai revu la jeune femme à la rupture conjugale vue 2 jours plus tôt, qui vraiment n'allait pas bien.
J'ai vu un enfant qui s'était peut-être cassé le poignet. Après réalisation d'une radio, il s'était bel et bien cassé le poignet. Je ne sais pas faire les plâtres, j'ai donc conseillé à sa maman de l'emmener aux urgences avec la radio.
J'ai pris entre deux un patient âgé avec une infection urinaire, qui ne pouvait pas revenir l'après-midi car il prenait la route pour rentrer dans sa région (oui je sais je suis trop gentille). 
J'ai enlevé un bouchon de cérumen. (Croyez-le ou non, j'aime bien déboucher les oreilles. J'aime le sentiment du travail accompli devant un beau conduit auditif bien dégagé, et l'air dégoûté des gens qui voient ce qui vient d'en sortir, "ah oui quand même!")
J'ai ausculté un bébé d'un an qui avait une laryngite qui traîne depuis 10 jours. Je me suis demandé si la durée d'évolution pouvait justifier d'un traitement antibiotique. Finalement je n'en ai pas prescrit.
J'ai reçu un enfant de 3 ans 1/2, pour des maux de ventre. J'ai eu un mal fou à l'examiner malgré toute ma diplomatie. Il a hurlé tout du long à en faire trembler les murs... Dur dur quand les petits ont été traumatisés par trop d'examens médicaux plus ou moins brutaux.
J'ai fait la visite du 11e mois de petits jumeaux avec les vaccins. Là encore beaucoup trop de décibels pour mes fragiles oreilles (surtout sur la fin...). Nous avons discuté avec la maman, un bébé chacune sur nos genoux, elle m'a raconté sa reprise du travail (ouf enfin du repos!)
Une autre visite de nourrisson, du 5e mois cette fois-ci, plus cool celle-là. Forcément, à 5 mois il n'y a pas de vaccins.
J'ai vu un petit avec une conjonctivite allergique unilatérale récidivante, un truc bizarre... Pas trop grave heureusement. Nous avons convenu avec la maman que tant que les manifestations n'étaient pas plus gênantes, le mystère resterait entier.
J'ai vacciné 2 grands enfants.
J'ai revu une patiente que je suis depuis quelques mois pour un problème de harcèlement professionnel. Elle a fini par être licenciée, son calvaire est donc bientôt fini. Mais c'est difficile pour elle de rebondir.
Encore une visite de nourrisson, enfin grand nourrisson, 2 ans 1/2, et encore un vaccin.
J'ai fait deux visites d'aptitude au sport pour deux soeurs de 6 et 8 ans, ce qui m'a permis de soulever auprès de leur maman un problème de surpoids manifeste et déjà assez sérieux. Elles vont prendre ensemble rendez-vous avec la diététicienne du village. Je me suis posé la question d'une puberté précoce chez la plus grande. Après vérification rapide des critères, en fait non.
Entre 2 consults j'ai fait une prolongation de dispense de sport pour une lycéenne avec une tendinite.
J'ai revu un des nourrissons avec une gastro vu la veille pour contrôler son poids. Poids stable, ça allait un peu mieux.
J'ai reçu une dame qui souffrait d'une mycose vaginale et d'un capsulite rétractile de l'épaule.
J'ai reçu une jeune femme en début de grossesse, épuisée par des vomissements constants et un travail très physique. Je lui ai fait un arrêt de travail, lui ai donné des conseils d'alimentation (et ma fameuse et incontournable recette de boisson citron-gingembre), et prescrit des anti-nauséeux.
Ah, il y a aussi eu 2 virus et une sinusite.
Et enfin la dernière patiente de la journée, arrivée à 18:58 au lieu de 18:40, à la seconde près où j'allais débrancher l'interphone... Pour un motif de consultation peu précis, j'avoue que j'ai peut-être troussé un peu vite la consultation...
Au cours de la journée j'ai aussi relevé et archivé les résultats d'examens biologiques, ouvert le courriers, scanné et indexé les compte-rendus médicaux.
J'ai répondu au téléphone à une maman qui s'inquiétait de savoir ce qu'elle pouvait faire pour son bébé fébrile.

Je suis rentrée chez moi à 19:45.

Jeudi. Journée complète. 22 patients.
Le planning de la matinée s'est rempli le matin même, ce qui est assez propice aux consultations pour virus: 4 virus, dont un chez une femme enceinte.
Un patient qui a eu des point de suture à la main aux urgences il y a 3 jours, a refusé l'arrêt de travail proposé pour ensuite réaliser qu'en fait il ne pouvait pas conduire, et s'est fait éconduire des urgences lorsqu'il y est retourné pour demander ledit arrêt de travail, et a donc atterri devant moi. Bon ben voilà, je lui ai fait son arrêt de travail.
Une grosse entorse de la cheville. Glace, attelle, repos, et kiné.
J'ai revu un bébé de 23 jours, déjà vu la semaine dernière, avec une prise de poids médiocre, et en plus un petit rhume. Nous avons refait le tour avec la maman sur le déroulement de l'allaitement, et je lui ai prêté mon DAL pour qu'elle essaie de la compléter en LM tiré.
J'ai fini la matinée avec une patiente très handicapée par un dos en très mauvais état et dont l'emploi plutôt physique est peu compatible avec ses lombalgies chroniques... Nous avons discuté retraite anticipée, invalidité, toutes options non financièrement envisageables pour elle... Je n'ai donc pas trouvé de solution plus satisfaisante que de majorer son traitement antalgique et de lui refaire un énième arrêt de travail.

Après la pause repas, et encore un peu de lecture et classement de résultats d'examens, je suis allée à l'EHPAD du coin où je suis allée voir une dame qui avait une douleur cervicale et une mycose buccale. J'ai renouvelé plusieurs ordonnances en retard (des bilans prescrits par téléphone, des bas de contention...)

L'après-midi, encore une visite d'aptitude au sport. Nous avons parlé avec la dame des difficultés de la vie quotidienne avec son enfant atteint d'une maladie rare, et de la prochaine visite au CHU à Paris.
Une jeune femme qui voulait reprendre sa pilule.
Une ado avec des maux de ventre, probablement d'origine virale.
J'ai revu une dame que je suis depuis plusieurs mois pour divers problèmes physiques en cours de bilan, et un problème de mal-être et de conflit professionnel. Elle était encore bien fragile, je lui ai donc prolongé son arrêt de travail de 2 semaines.
J'ai revu un monsieur, un peu rustre, un peu grincheux, mais qui (je crois) m'aime bien en fait, qui vient me voir très souvent pour que je trouve ENFIN pourquoi il a toujours mal au ventre, alors que tous les examens possibles ont déjà été faits et que manifestement il souffre d'une colopathie fonctionnelle. Pas facile de faire accepter que oui il a mal, mais que non il n'y a rien sur les examens.
J'ai compati sincèrement aux malheurs de son épouse qui a eu la malchance de contracter la coqueluche il y a quelques semaines et tousse donc à s'en décrocher les bronches.
J'ai revu ma patiente de mardi avec sa douleur lombo-abdominale, et son scanner, qui ne trouvait rien... Et elle avait toujours mal... Je suis revenue sur mon hypothèse diagnostique initiale plutôt rhumatologique que viscérale, dont je m'étais éloignée après son passage aux urgences où on avait plutôt évoqué un problème urinaire. Je lui ai prescrit d'autres examens et ai essayé d'adapter au mieux son traitement antalgique en attendant d'avoir le fin mot de cette histoire.
J'ai vu une jeune fille avec une "cysphrite" (Cc Jaddo), c'est-à-dire une cystite mais avec de la fièvre, mais pas encore une pyélonéphrite.
Entre deux j'ai pris sans rendez-vous un monsieur asthmatique qui rechutait, à qui il a fallu represcrire de quoi traiter la crise et reprendre son traitement de fond.
J'ai reçu un jeune garçon qui avait "des boutons dans le cou". En fait il s'était arraché la peau à force de se gratter la nuque, et pour cause il avait les cheveux plein de poux... (Aaargggh! Ca y est ça me gratte!)
Puis un jeune homme qui présentait des saignements de nez récidivants depuis plusieurs jours. Je n'ai retrouvé aucun facteur déclenchant, ni HTA ni prise médicamenteuse ni rien. Je lui ai conseillé si cela continuait d'aller voir un ORL, et lui ai donné les conseils d'usage pour arrêter les épistaxis.
J'ai terminé la journée avec deux personnes qui préparaient un voyage en Asie et qui venaient se faire vacciner. "Etonnament" le jeune homme a fait un malaise vagal après les injections... Pendant qu'il se reposait les jambes en l'air j'ai inspecté les carnets de santé du reste de la famille pour mettre tout à jour.
Ensuite j'ai revérifié toute la compta de la semaine.

Je suis rentrée à 19:45, j'ai fait mangé et couché les enfants puis me suis affalée devant la télé...

Vendredi. FREEDOM FREEDOM
Jour de "repos" aka jour de mère au foyer.
Ecole, courses, retour école, aire de jeu, goûter, etc etc, soirée Cobayes devant la télé avec les deux grands.

Samedi matin. 11 patients.
J'ai fait la visite du 9e mois d'un bébé et les visites d'aptitude au sport de ses deux parents.
J'ai vu une personne très anxieuse qui avait mal dans la poitrine. Une probable douleur costale en définitive.
J'ai autorisé un jeune homme à sauter dans le vide (oui ok à faire un baptême de parachute!)
J'ai vu un jeune homme avec un kyste sous-cutané inflammé et douloureux. Lui ai donné les conseils de soins locaux, et les coordonnées d'un chirurgien s'il souhaitait se le faire retirer.
Un virus, une angine, une cystite.
J'ai pris en plus un patient venu sans rendez-vous pour un abcès dentaire.
Puis je suis allée faire une visite en urgence à l'ehpad pour un patient qui respirait mal. Je me suis demandée si son ausculation pourrie était uniquement infectieuse (il avait de la fièvre), ou s'il y avait une part de décompensation cardiaque. Je l'ai mis sous antibio et ai prescrit un bilan pour le lundi.
Je suis rentrée chez moi à 13h.

Au cours de cette semaine j'ai donc vu 90 patients, âgés de 15 jours à 89 ans.
Parmi toutes ces sonsultations: 15 viroses ORL, digestives ou cutanées, 12 problèmes infectieux non viraux (ORL, urinaires...), 2 problèmes liés à la grossesse, 5 motifs gynécologiques ou de contraception, 9 visites d'aptitude au sport, 8 visites de suivi de nourrissons, 4 nourrissons malades, 7 consultations à dominante psychologique, 8 problèmes articulaires (traumatologiques ou rhumatologiques), 10 vaccinations.

J'ai aimé mon travail. Je suis installée depuis 9 mois. Jusqu'ici tout va bien. (Comme disait l'homme qui tombait du 7e étage...)


jeudi 11 juin 2015

L'usage abusif des examens médicaux -- Un nouveau facteur de risque médical? (Traduction)

Aujourd'hui je reprends mon activité de traductrice amateure, pour vous proposer une traduction d'un article écrit par le Dr Carlos Martins, du Département de Médecine Générale de l'université de Porto (ville très agréable que je viens d'ailleurs de visiter la semaine dernière. Non ça n'a rien à voir...). Heureusement pour moi il l'a écrit en anglais, parce que mon portugais se résume à "Obrigada" et "Pasteis de Nata" (googlez, vous comprendrez!).
Donc cet article publié sur son blog hébergé par le BMJ (oui il a un peu plus la classe que moi, on fait ce qu'on peut...), m'a semblé très intéressant, et j'ai eu envie de la faire partager à la communauté non anglophone.
Voici le lien vers l'article original: http://blogs.bmj.com/bmj/2015/04/24/carlos-martins-overuse-of-medical-tests-a-new-health-risk-factor/


L'usage abusif des examens médicaux – Un nouveau facteur de risque pour la santé?


Un facteur de risque est, entre autres, un aspect du mode de vie ou du comportement personnel qui, sur la base d'observations épidémiologiques, est connu pour être associé avec des problèmes de santé que l'on considère importants de prévenir. (1)

Un nouveau comportement peut être observé dans la population générale des pays occidentaux : la façon dont les patients utilisent les services médicaux à des fins préventives et la fréquence à laquelle ils passent des examens médicaux et autres dépistages. Les observations montrent une tendance alarmante à l'usage excessif des services de santé préventifs (2, 3). Au Portugal par exemple, une récent étude de population croisée a montré que la majorité des adultes portugais pensent qu'ils devraient faire des analyses de sang et d'urine de routine de façon annuelle.
Une proportion importante de la population pense même que d'autres tests, encore moins recommandés sont nécessaires, tels que radiographie des poumons, échographie mammaire, abdominale ou gynécologique.

Ce type de comportement est en partie justifié par la croyance culturellement enracinée qu'il est nécessaire de faire des "check-up" médicaux réguliers. Réaliser des check-up médicaux réguliers est une pratique qui n'est pas basée sur des preuves, car cela ne réduit pas la mortalité ni la morbidité, ni dans l'ensemble ni spécifiquement pour les maladies cardio-vasculaires ou cancéreuses, alors qu'ils augmentent le nombre de nouveaux diagnostics (4).
Les campagnes de "disease-mongering" [que l'on pourrait imparfaitement traduire par "façonnage de maladies"-NDT], la plus grande variété et disponibilité des tests médicaux, et la notion répandue que plus de médecine est toujours mieux, sont d'autres facteurs qui ont pu contribuer au développement de ce comportement. Cependant, nous devons aussi considérer l'hypothèse que la consultation médicale a évolué d'un modèle paternaliste à ce que nous pourrions appeler un modèle consumériste. C'est le genre de consultation où le patient obtient ce qu'il veut, ce qui est assez différent du modèle idéal de "décision partagée".

Il y a de plus en plus de preuves que ce comportement est associé à des dommages, et on considère ces dommages comme devant être prévenus. Les faux positifs, les incidentalomes, les sur-diagnostics, et la cascade résultante de prises en charges sont autant de dommages qui peuvent altérer significativement la qualité de vie de personnes en bonne santé (5).

C'est pourquoi, par définition, on pourrait considérer que nous sommes face à un nouveau facteur de risque de santé: l'utilisation excessive et inappropriée d'examens médicaux. Bien sûr, il y a une certaine dose d'ironie dans cette constatation, puisque l'attribution excessive de "facteurs de risques" à des personnes en bonne santé a été une des principales causes de la transformation de tant de gens en bonne santé en patients (6). Cependant, il est fort probable que la plupart des gens ne savent pas qu'ils encourent des risques quand ils se soumettent à des examens médicaux. Concernant le domaine pharmaceutique, nous reconnaissons tous que les patients sont conscients des possibilités d'effets indésirables de chaque médicament. Mais, la plupart de nos patients n'ont jamais entendu parler des effets indésirables d'un examen médical. Certains patients ne prennent pas un nouveau médicament sans avoir auparavant lu le Résumé des Caractéristiques du Produit décrit sur la notice contenue dans la boîte. Ne serait-il pas temps d'introduire des régulations aux examens médicaux et de créer un Résumé des Caractéristiques de l'Examen? Cela pourrait être un outil-clé de communication à ce sujet. Un outil correctement structuré devrait employer un langage accessible à tous, mais pas nécessairement aussi dense que le Résumé des Caractéristiques du Produit. Ce document devrait inclure des paragraphes tels que "Indications", "Dommages possibles", "Valeur Prédictive selon la prévalence", "Nombre nécessaire de dépister", et "Nombre nécessaire pour léser". Cette suggestion mériterait d'être expérimentée. Cela aurait-il un impact sur la façon dont les gens en bonne santé considèrent les examens médicaux? C'est une question importante qui nécessite une recherche appropriée.

Néanmoins, si nous voulons prévenir le sur-diagnostic et d'autres dommages potentiels liés à l'usage des examens médicaux excessif et non basé sur les données scientifiques par les gens en bonne santé, nous devrions commencer à imaginer des stratégies de communication pour expliquer à nos populations ce que l'on entend par dommages potentiels, faux positifs, et sur-diagnostic. Ce n'est qu'en comprenant le sens de ces concepts et en connaissant la probabilité de retirer un bénéfice ou un dommage d'un examen, que le patient sera capable de prendre une décision en coopération avec son médecin, et en évitant un modèle consumériste de l'utilisation des examens médicaux. 

Références:

1) International Epidemiological Association. A dictionary of epidemiology 4th ed. Oxford University Press, 2001
2) Brotons C, Bulc M, Sammut MR, Sheehan M, Manuel da Silva Martins C, Björkelund C et al. Attitudes toward preventive services and lifestyle: the views of primary care patients in Europe. The EUROPREVIEW patient study. Fam Pract 2012; Suppl 1:i168-i176.
3) Martins C, Azevedo LF, Ribeiro O, Sa L, Santos P, Couto L, et al. A population-based nationwide cross sectional study on preventive health services utilization in Portugal— What services (and frequencies) are deemed necessary by patients? PLoS ONE 2013;8:e81256.
4) Krogsboll LT, Jorgensen KJ, Gronhoj Larsen C, Gotzsche PC. General health checks in adults for reducing morbidity and mortality from disease: Cochrane systematic review and metaanalysisBMJ 2012;345:e7191
5) Welch HG. Overdiagnosed: making people sick in the pursuit of health. Beacon Press, 2011
6) Gervas J, Starfield B, Heath I. Is clinical prevention better than cure? Lancet 2008;372:1997–9

mardi 28 avril 2015

La diversification alimentaire

Au cabinet, je suis beaucoup de nourrissons. Étant aussi comme vous le savez maman de 3 enfants dont un nourrisson, le domaine de la diversification alimentaire m'est assez familier.
J'ai entendu parler sur Twitter du concept de "Diversification menée par l'enfant", et ça m'a intéressée, vu que la diversification avec mon 2e fils a toujours été assez compliquée, et qu'aujourd'hui encore à 4 ans il a un régime alimentaire très peu divers (à base principalement de chocolat en fait...)
Et puis récemment j'ai lu ce formidable bouquin: Mon enfant ne mange pas de Carlos Gonzalez
Depuis je n'embête plus mon fils pour qu'il finisse son assiette. Et cela a renforcé ma motivation pour diversifier MiniMarmot de façon libre et sans contrainte.
Résultat à 8 mois il mange plus et plus varié que son grand frère... (Bon ok, il y a sûrement un facteur propre à chaque enfant...)

Du coup à l'aune de ces récentes lectures, discussions et expériences personnelles, j'ai rédigé pour le cabinet un document pour aider les parents à s'y retrouver dans la littérature fournie et parfois contradictoire sur le sujet. Je le partage ici, si ça peut servir à des parents ou à mes chers confrères/soeurs.

*Roulement de tambours*

Quelques conseils sur la diversification alimentaire

Entre 4 et 6 mois, commence la période appelée "diversification alimentaire", lorsque le bébé jusqu'ici nourri uniquement de lait (maternel ou artificiel), découvre les autres aliments.

Il existe de nombreuses recommandations sur la façon de procéder pour cette diversification, qui changent selon les époques, selon les pays, ou selon les médecins à la même époque et dans le même pays... Comment s'y retrouver parmi tous ces conseils contradictoires? Qui a raison? Probablement un peu tout le monde et un peu personne.

Je vous propose dans ce document quelques grands principes pour vous guider, à vous parents de l'adapter selon vos possibilités, votre rythme de vie et surtout selon votre enfant.

Il existe actuellement plusieurs "écoles" concernant la façon de diversifier l'alimentation des nourrissons.
La diversification "classique", que vous pourrez trouver en détail sur le site internet http://www.mangerbouger.fr/pour-qui-242/enfants/la-phase-de-diversification-6-mois-3-ans/, où l'on commence à 4 mois à proposer des soupes de légumes, puis des compotes de fruits, de façon très progressive, au biberon ou à la cuillère.
La diversification dite "menée par l'enfant", que vous pourrez découvrir sur le site http://www.diversificationalimentaire.com/, où l'on commence à partir de 6 mois, de façon beaucoup plus libre, en donnant directement des aliments solides que l'enfant peut porter à sa bouche lui-même.

Je ne pense pas qu'il existe UNE bonne façon de faire, d'ailleurs ces 2 méthodes peuvent tout à fait être mixées et utilisées simultanément.

Quand commencer?

Les recommandations internationales (OMS, UNICEF, Société Européenne de Nutrition Pédiatrique...), recommandent un allaitement exclusif (au lait maternel de préférence) jusqu'à 6 mois.
Les sociétés d'allergologie préconisent afin de limiter les risque d'allergies alimentaires d'introduire un maximum d'aliments entre 4 et 6 mois (il semblerait que cette période soit la plus propice en terme de tolérance immunitaire).
Il parait donc raisonnable de commencer à 4 mois si l'enfant semble intéressé et motivé par l'alimentation complémentaire, et d'attendre 6 mois dans le cas contraire. On peut aussi adapter selon le développement du bébé, son tonus (se tient-il bien assis, porte-t-il les objets à la bouche...).

Le lait

De toutes façons, l'alimentation complémentaire est et doit rester comme son nom l'indique "complémentaire", jusqu'à l'âge de 12 mois. Pendant cette première année de vie, l'essentiel des calories et besoins nutritionnels reste couvert par le lait, qu'il soit maternel ou artificiel.
Si l'enfant est allaité, on peut continuer à proposer la tétée à la demande. Il vaut mieux proposer la tétée avant l'alimentation solide, afin de ne pas induire un sevrage par une baisse de la consommation de lait. En cas d'allaitement maternel exclusif prolongé avec une alimentation complémentaire peu importante il peut être nécessaire de supplémenter en Fer. A voir avec le médecin de l'enfant. S'il est nourri au biberon, il doit boire au moins 500mL de lait par jour, en utilisant du lait infantile 2e âge (le lait de vache étant trop pauvre en Fer, et trop riche en protéines). Par contre à partir de 12 mois on peut utiliser du lait de vache, entier de préférence et non Demi-écrémé. Les laits de croissance n'ont aucun intérêt nutritionnel, d'autant qu'ils sont le plus souvent sucrés.
Si l'enfant refuse de boire du lait au biberon, ou à la tasse, on peut lui proposer à la place des laitages (fromage blanc, yaourts, petits suisses, toujours de préférence au lait entier).

Les fruits et les légumes

Il est possible de les proposer donc à partir de 4 mois ou 6 mois. Il n'y a pas d'ordre particulier recommandé ni de quantités minimales ou maximales. Respecter les goûts et les besoins de l'enfant. Les légumes peuvent être proposés en purée ou en soupe, ou écrasés à la fourchette. Dès que l'enfant sait saisir et porter des objets à la bouche, on peut lui proposer des légumes en morceaux (bâtonnets de carotte, de courgettes, bouquet de chou-fleur, haricots verts...). L'enfant n'en avalera probablement pas beaucoup au début, la majorité se retrouvera par terre, sur les vêtements, dans les cheveux. Cela n'a pas d'importance. L'enfant fait connaissance avec les aliments, les goûts, les textures et la mastication (il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'attendre que l'enfant ait des dents). De même les fruits peuvent être proposés en compote (sans sucre ajouté), écrasés, ou cru en morceaux à grignoter. Privilégier si possible les fruits et légumes bio, et de saison.
Vous pouvez faire goûter à votre enfant tous les fruits et légumes qui sont au menu des adultes ou enfants plus grands.

Les céréales

Il est recommandé d'introduire le gluten (contenu dans tous les dérivés de blé: farine, pain, pâtes...) progressivement entre 4 et 7 mois. Selon ses capacités motrices et de mastication, l'enfant peut consommer du pain (un croûton un peu dur à sucer), du riz bien cuit, des pâtes bien cuites, de la semoule, et toute autre céréale. Par contre il n'y a pas d'intérêt à ajouter des céréales en poudre au biberon (notamment pour le biberon du soir, contrairement à l'idée reçue, cela n'aidera pas l'enfant à mieux dormir...)

Les protéines animales

Dès 4-5 mois l'enfant peut consommer du poisson (écrasé à la fourchette, consommé à la cuiller ou à la main), de la viande (mixée ou présentée en gros morceaux à prendre à la main), des oeufs (à la coque, omelette, dur...), des fromages. Il n'est pas nécessaire de consommer des protéines animales tous les jours. En dehors du lait, une fois par jour est suffisante. Un régime végétarien est d'ailleurs possible pour un nourrisson, à condition qu'il consomme en plus au moins 500mL de lait infantile ou équivalent en produits laitiers, ou allaitement maternel à la demande. Le régime végétalien n'est par contre pas adapté au nourrisson.

Les boissons

La seule boisson intéressante en dehors du lait est l'eau. Pour un nourrisson allaité à la demande, elle n'est même pas nécessaire. S'il a soif il prendra une petite tétée. Il est possible toutefois de proposer de l'eau si l'enfant a soif et que la mère n'est pas disponible ou ne souhaite pas proposer le sein à ce moment-là. Dans ce cas il vaut mieux proposer de l'eau à la tasse qu'au biberon.
Pour les nourrissons nourris au lait artificiel, il est possible entre les biberons de proposer de l'eau à volonté.
Il est possible de proposer après 6 mois des tisanes ou du thé léger. Par contre les boissons sucrées type soda, qu'elles soient gazeuses ou plates sont à proscrire avant l'âge de 3 ans.
Les jus de fruits (pur jus, sans sucre ajoutés), peuvent être proposés occasionnellement et en petite quantités.

Le sucre, le sel, les friandises

Les plats de légumes/viande/poisson doivent être cuisinés sans sel ajouté. Les fruits et laitages, sans sucre ajouté. Si l'enfant n'apprécie pas trop le laitage nature, il est préférable de le sucrer en ajoutant un peu de compote de fruit.
Concernant les friandises et pâtisseries, éviter autant que possible les produits industriels. Il est possible de faire goûter à l'enfant des pâtisseries maison, occasionnellement, en petite quantité. Il vaut mieux en rester aux produits simples et le moins transformés possible.

Petits pots, ou fait maison? 

Comme vous voulez/pouvez! 
Sur le plan nutritionnel, les petits pots pour bébé sont très équilibrés. Les teneurs en résidus de produits chimiques (pesticides...) sont très strictement contrôlés, et plus basses que dans les produits tout publics (compotes ou purées de légumes). On peut ensuite discuter de leurs qualités gustatives...
Si vous aimez faire maison, utilisez au maximum les ingrédients qui sont prévus au menu des plus grands, en adaptant la quantité et la texture. Privilégiez autant que possible les produits bio ou de filière raisonnée.  

Les quantités à proposer, le rythme des repas

Comme je l'ai déjà évoqué, l'alimentation hors lait est "complémentaire". Les besoins nutritionnels sont couverts intégralement par le lait jusqu'à 12 mois. Il n'y a donc pas de quantité minimale imposée. Les enfants, comme les adultes, ont des appétits très variables, et leur rythme et leurs besoins doivent être respectés. Si l'enfant n'est pas prêt à manger diversifié, il ne faut pas forcer la main. Attendez quelques jours/semaines, puis reproposez.
De même, le fait d'avoir des horaires fixes pour les repas relève d'une convention sociale, et non d'un besoin physiologique. Les petits enfants peuvent avoir besoin de faire de très petits repas, très souvent. Il est fort possible qu'un nourrisson continue à manger 5 à 6 fois par jour jusqu'à 1 an et même après.
Lorsque votre enfant ne veut pas finir son assiette, mais redemande à manger peu après, regardez son abdomen et tentez de vous représenter quelle taille peut faire son estomac. Vous réaliserez vite qu'on a souvent tendance à proposer des portions beaucoup trop grosses...

Quoi qu'il en soit, en conclusion

Quelle que soit la méthode que vous employez, la diversification alimentaire doit être une découverte pour l'enfant, un apprentissage progressif, qu'il doit pouvoir mener à son rythme et avec plaisir.
Un enfant en bonne santé sait combien il a besoin de manger, et ne se laisse jamais mourir de faim.
Pour cette raison, NE FORCEZ JAMAIS JAMAIS JAMAIS votre enfant à manger!

Un conseil de lecture au sujet de l'alimentation des enfants:

"Mon enfant ne mange pas" du Dr Carlos Gonzales aux éditions de La Leche League, disponible sur le site internet de La Leche League



Voilà, c'est tout. C'est volontairement pas très directif, loin des conseils de type "midi, 25g de courgettes, 1 c. à café de poulet" etc... Je suis intéressée par tous vos commentaires et remarques, je suis prête à éditer le document si besoin. 

jeudi 2 avril 2015

Tant va la cruche à l'eau...

Les consultations pour burn-out. Elles se ressemblent toutes. Nous en avons tant. Beaucoup trop.
Quand j'étais remplaçante et que je faisais des bonnes grosses semaines j'en voyais plusieurs par semaine. En rempla régulier j'en ai suivi plusieurs au long cours. Depuis mon installation, je n'ai pas encore beaucoup de patients mais j'en suis déjà deux.
A notre époque bénie où le management par la pression est devenue la norme en entreprise, quoi de moins étonnant... Les travailleurs frontaliers ayant tenté leur chance en Suisse sont les plus exposés.

La dernière en date, je l'ai vue ce matin, pour la deuxième fois, au bout de sa première période d'arrêt de travail de 15 jours.
Executive woman, la quarantaine soignée, 4 enfants, gérante d'une filiale d'une grosse société. Et là tout s'écroule.

Ces consultations ont toutes des points communs. Il y a des phrases que tous les patients me disent, et d'autres que moi je prononce à chaque fois.Il y a quasiment toujours des larmes.
"Docteur je n'en peux plus. Je ne dors plus, j'y pense toute la nuit. Je ne peux plus aller travailler. Dès le matin, dans la voiture, j'ai la gorge serrée/la boule au ventre/je pleure/j'ai la nausée..."
"J'ai donné xx années à cette entreprise, je me suis impliqué/e, j'y ai mis beaucoup d'énergie. Ça ne peut pas se terminer comme ça."
"Je n'ai plus aucune reconnaissance dans mon travail. Quand j'atteins les objectifs fixés on m'en assigne d'autres encore plus élevés."
"Il y a déjà xx personnes en arrêt de travail dans mon service. Elles n'ont pas été remplacées bien sûr, on nous a donné leur part de travail."
"On m'envoie des mails/on m'appelle chez moi à 21h/22h/le dimanche (y compris pendant l'arrêt de travail), et je ne peux pas m'empêcher de répondre... Je n'arrive pas à débrancher le portable, à ne pas ouvrir la boîte mail. J'ai mauvaise conscience d'être absent/e, je culpabilise."
"Non non docteur je ne peux pas m'arrêter. Comment vont-ils faire?
-Et si vous aviez eu un accident de voiture?
-Oui je sais mais...
-Ben c'est pareil. Vous n'êtes PAS DISPONIBLE. Vous connaissez l'expression "Les cimetières sont pleins de gens indispensables"?
-Oui docteur, mais vraiment, moi c'est pas pareil.
-Si Si c'est exactement pareil. Vraiment. On va commencer par un arrêt de 2 semaines.
-QUOI deux semaines? Oh non Docteur c'est trop long, vous ne croyez pas qu'une semaine ça suffirait?
-Je suis sûre que non."
Et de fait l'arrêt de 2 semaines n'est que le début d'une série de prolongations qui dureront en général plusieurs mois.

Selon l'intensité des troubles, les désirs du patient, on n'arrive ou pas à gérer la période sans médicaments. Parfois on est obligé de passer par les anxiolytiques +/- somnifères, tant la personne est perturbée dans sa vie quotidienne. Parfois quand les choses sont enkystées on est obligés d'en venir aux anti-dépresseurs. Parfois on arrive à faire sans rien.

Ce sont toujours des consultations longues et éprouvantes. Au minimum 45 minutes d'écoute, de soutien et de dialogue. Démonter l'impression du patient d'être un faible, d'avoir failli parce que "je comprends pas docteur pourtant ce n'est pas mon genre de craquer... J'ai toujours géré/tenu la barque... Je ne pensais pas que ça pouvait m'arriver à moi!"
Oui, jusqu'au jour où. Chacun a ses limites, qu'il/elle rencontre plus ou moins tard.
Je dis toujours à ces patients que je vois des gens dans la même situation qu'eux plusieurs fois par semaine. Ça les étonne mais les soulage de savoir qu'ils ne sont pas seuls.

Je les arrête toujours pour 2 semaines d'emblée, malgré leurs protestations. Au bout des 2 semaines ils reviennent me demander de prolonger... Pendant ces 2 semaines, je leur donne des consignes claires: éteindre le portable professionnel, ne pas ouvrir la boîte mail (ce qui est plus ou moins bien respecté...). Pendant les premiers jours, ne rien faire hormis se reposer. Dormir tout son saoul. Avec cachets si besoin. Si ça doit passer par 24-48h au lit d'affilée, so be it.
Ensuite, utiliser le reste de l'arrêt pour se consacrer à soi. S'occuper de soi, et se faire plaisir. Sortir se promener, faire du sport, du shopping, aller nager, au cinéma, chez le coiffeur ou l'esthéticienne, n'importe quoi du moment que c'est par plaisir.
Ma patiente de ce matin a trouvé son repos dans la cuisine et le jardinage. "Je suis allée au marché, ça faisait des années que je ne l'avais pas fait... J'ai levé les yeux et regardé les arbres, je me suis dit purée ça fait combien de temps que je n'ai pas vu un magnolia en fleur?!"
Les jeunes parents retrouvent le plaisir d'être à la sortie de l'école pour chercher leurs enfants, d'avoir du temps pour jouer avec eux. Ma patiente de ce matin était toute heureuse de me raconter la partie de Monopoly qui avait fait tant plaisir à son fils de 12 ans.

Au bout de quelques semaines, quand la personne a pu lâcher prise, reprendre un peu pied, je commence à les encourager à envisager leur avenir professionnel. En général ils ne peuvent plus concevoir de retourner reprendre leur poste précédent. La plupart du temps, l'employeur bien entendu ne veut pas licencier, et préfère jouer le pourrissement de la situation jusqu'à ce que l'employé démissionne de lui-même. Vient alors le temps des consultations chez le médecin du travail, de l'inspection du travail, parfois des prud'hommes. Certains patients ont facilement des idées de reconversion. D'autres sont tellement vidés qu'ils n'arrivent pas à envisager quoi que ce soit. Certains ont des compétences qui font qu'il est très difficile pour eux d'espérer trouver un autre emploi, surtout en nos temps bénis de pas-très-plein-emploi... Dans ces cas il arrive que la situation stagne pendant des mois et des mois...

Ces patients font partie de nos nombreux contemporains qui sont à la base en bonne santé mais sont rendus malades par la société dans laquelle nous vivons, qui est elle-même malade à un stade avancé.
Je suis maintenant habituée à épauler ces patients, avec plus ou moins de succès, mais je suis toujours impressionnée par les dégâts qu'un travail peut provoquer sur une vie.
J'aimerais que les employeurs comprennent qu'un employé heureux au travail est plus productif qu'un employé pressuré jusqu'à la moelle. J'aimerais faire beaucoup moins de ces consultations de burn-out.

Pour s'informer: http://www.burnout-info.ch/fr/
 Syndrome d'épuisement professionnel sur Wikipedia  (une grosse bibliographie en fin d'article